" LA CALVITIE n'est pas un dommage corporel, mais
"un caractère sexuel masculin secondaire" ", a estimé, mardi 4 avril,
un tribunal de Munich (Allemagne). Une entreprise spécialisée dans la
transplantation des cheveux avait porté plainte contre un concurrent
qu'elle accusait de publicité contraire à la loi allemande sur les médicaments.
Après avoir consulté les spécialistes, les juges ont été formels : la
calvitie n'est pas une maladie, la perte des cheveux étant " un phénomène
normal et courant ", génétiquement programmé pour chaque homme.
Tout ou presque a été essayé contre la calvitie. Dans l'Egypte antique,
Nefertiti, qui souffrait d'une alopécie, utilisait un mélange de graisses
de lion, d'hippopotame, de crocodile, de chat, de serpent et de bouquetin.
Cléopâtre tentait d'empêcher le crâne de César de se dégarnir au moyen
d'un onguent mêlant de la graisse d'ours, de moelle de cerf, des souris
carbonisées et des dents de cheval pilées. Mais, faute de résultat,
César dissimulait sa calvitie sous une couronne de lauriers. Hippocrate
lui-même prônait des cataplasmes à base d'orties, de cumin, de fientes
de pigeon et de raifort pilé.
Si Yul Brynner, en son temps, faisait figure d'exception, le gardien
de but de l'équipe de France Fabien Barthez et nombre de vedettes ont
lancé la mode du crâne rasé. Néanmoins, la calvitie n'a pas perdu son
caractère stigmatisant. Quand elle survient précocement, elle est souvent
ressentie comme le premier signe de la vieillesse, voire une atteinte
à la puissance masculine - ce que l'on pourrait baptiser le syndrome
de Samson, victime de Dalila.
Un homme sur trois à trente ans et un sur deux à cinquante ans est touché
par la calvitie. Ou plutôt par ce que les médecins appellent l'alopécie
androgénétique ; c'est-à-dire la perte " physiologique " de cheveux
non remplacés, due aux androgènes (les hormones mâles) chez les personnes
ayant une susceptibilité génétique. Cette perte de cheveux est imputable
à plusieurs gènes. Inutile donc d'entreprendre des examens complémentaires.
Il en va différemment chez la femme, où diverses causes peuvent être
évoquées.
Le seul cas, chez l'homme, où des investigations peuvent se justifier
est celui d'une alopécie diffuse, ne suivant pas la topographie de l'alopécie
androgénétique, qui peut s'expliquer par une carence alimentaire, diverses
maladies inflammatoires ou la prise de médicaments.
Le terme d'alopécie vient d' alôpêx, le renard en grec, qui donne alôpêxia,
maladie qui fait tomber les poils du renard. Dans l'espèce humaine,
le phénomène est dû aux androgènes. Ces hormones sont sécrétées avant
tout par les testicules, mais aussi par les glandes surrénales et même
en petite quantité par les ovaires. Elles sont notamment responsables
des caractères sexuels primaires (pénis et testicules) et secondaires
(système pileux) mâles. L'une des hormones androgènes, la dihydrotestostérone,
se lie au récepteur des androgènes, événement qui active les gènes responsables
de la transformation des follicules pileux de grande taille en follicules
de taille réduite. Un processus normal.
" ÉVENTUELLEMENT UTILE " Mais, au cours des cycles successifs que connaît
le follicule, la durée de la période de croissance active diminue plus
ou moins vite selon les individus et leur patrimoine génétique. Le follicule
devient de plus en plus petit, et donne naissance à des cheveux de plus
en plus courts et de plus en plus fins. La chevelure apparaît progressivement
clairsemée et le crâne apparent, ce qui signe l'alopécie. " La couronne,
au niveau des tempes et de la nuque, persiste toujours. La raison en
est qu'il existe dans cette région des récepteurs de la 5 alpha-réductase
d'un type différent de celui présent sur le reste du cuir chevelu et
qui est impliqué dans l'alopécie ", précise le docteur Pierre Bouhanna
(Centre Sabouraud, hôpital Saint-Louis, Paris).
La 5 alpha-réductase est une enzyme qui permet la transformation de
la testostérone (hormone mâle) en dihydrotestostérone.
Ces dernières années, des changements importants ont eu lieu dans le
traitement de l'alopécie, qui est un marché florissant. " L'époque est
enfin révolue où le seul choix était entre charlatanisme et empirisme
", résume le professeur Philippe Berbis, chef du service de dermatologie
à l'hôpital Nord de Marseille.
Pendant longtemps ont été utilisés des médicaments à base de vitamines
(dexpanthénol, biotine) ou d'acides aminés soufrés. " Ils ont une certaine
utilité dans les formes débutantes et les alopécies réactionnelles,
juge le docteur Pascal Reygagne, qui dirige le centre Sabouraud, abrité
par l'hôpital Saint-Louis (Paris). Dans les alopécies déjà installées,
deux traitements existent, qui doivent tous deux être pris à vie, l'alopécie
reprenant sa progression à l'arrêt du traitement : le minoxidil et le
finastéride. "
Ces deux traitements ont en commun de ne pas être remboursés par la
Sécurité sociale. Le minoxidil, administré en application locale, existe
avec deux dosages : à 2 % et à 5 %. Le premier est utilisable chez l'homme
et chez la femme, le second, plus efficace, est réservé à l'homme, car
il existe un risque d'hyperpilosité du visage chez la femme. " Avec
le minoxidil à 5 %, estime Pascal Reygagne, il y a une petite repousse
dans un tiers des cas, une stabilisation de l'alopécie dans un deuxième
tiers ; cela ne marche pas bien chez le dernier tiers des patients.
"
L'implication de la 5 alpha-réductase dans le mécanisme de l'alopécie
est à l'origine de la commercialisation, depuis un an, d'un nouveau
traitement : le finastéride. Cet inhibiteur des récepteurs de type 2
de cette enzyme était, jusqu'ici, utilisé pour traiter les adénomes
de la prostate. Présenté sous forme de comprimé, il est formellement
interdit chez la femme enceinte, car il est susceptible d'entraîner
une malformation des organes génitaux chez un foetus de sexe masculin.
Il n'est, d'ailleurs, pas efficace chez les femmes. Pour l'homme, "
les résultats sont du même ordre qu'avec le minoxidil à 5 % ", indique
Pascal Reygagne. En lui attribuant la mention " éventuellement utile
", la revue Prescrire concluait en mai 1999 qu' " un traitement quotidien
par 1 mg de finastéride par voie orale (Propecia) a une efficacité modeste
sur l'alopécie androgénétique des hommes. Son seul intérêt réside dans
sa présentation (...), qui peut être préférée par certains patients
".
L'autre recours, non médicamenteux, est la chirugie de réimplantation.
" Les techniques ont progressé depuis que l'on a renoncé à l'implantation
de gros greffons, qui donnaient un aspect "champ de poireaux", explique
Pierre Bouhanna . Aujourd'hui, on implante des "unités folliculaires"
de un à trois cheveux, prélevées dans la couronne. C'est la technique
des mini-microgreffes. "
Conscient qu'il existe, dans ce domaine, des pratiques peu scrupuleuses,
le docteur Bouhanna insiste sur l'attitude que le médecin doit adopter
vis-à-vis d'un patient jeune : " Il faut savoir temporiser et s'assurer
qu'il a bien compris le caractère évolutif de son alopécie. " Pour illustrer
les interventions aboutissant à des résultats désastreux sur le plan
esthétique, le docteur Reygagne rapporte le cas d'un jeune homme qui
avait reçu des implants pour combler les golfes dégarnis, situés de
part et d'autre du front. Sa calvitie avait continué à progresser sur
le sommet du crâne, laissant isolées deux touffes sur les golfes !
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